La fée Tralalalère

03.11.2014

~~Où il m'arrive de plonger dans le délire, et ça fait vraiment du bien.....

La fée Tralalalalère passait par des phases de sombre dépression alternées avec des épisodes de colère noire depuis le matin où elle s’était aperçue que le fameux don qu’elle possédait depuis sa naissance était devenu inopérant. Deux commères bavardant à grand bruit sous sa fenêtre, claquant du pouce et de l’index elle avait tenté en vain de transformer leurs échanges en caquetages de volaille. Tous ses efforts de la journée dans le même but s’étaient soldés par des échecs.

Que lui arrivait-il ? Qui lui avait jeté un sort la privant de cette merveilleuse faculté de modifier les sons et les voix, dont elle usait et abusait à plaisir car c’était une joyeuse luronne. Merlin ? Cela faisait belle lurette qu’il avait disparu. Le bruit courait même que les services secrets français avaient réussi à le convaincre de travailler pour le gouvernement qui peinait à enchanter les citoyens. Carabosse ? De plus en plus méchante, elle semait la terreur en Afrique de l’Ouest en répandant une terrible maladie. La fée Clochette ? A force de faire la chattemite, elle avait réussi à prendre dans ses filets un sosie de Peter Pan et filait le parfait amour sous d’autres cieux. Un virus ? La nouvelle génération de fées du 21ème siècle n’aurait-elle pas été protégée de ce fléau ? Elle se sentait pourtant en pleine forme. Tralalalère ne trouvait aucune explication valable à son problème.

Ne sachant que faire, la mort dans l’âme elle se résolut à recourir à des méthodes archaïques. Elle se procura chez un herboriste une énorme quantité de plantes qu’elle fit bouillir en mélanges divers dans une batterie de cornues flambant neuve. Goûter chaque préparation ne fit que lui donner des nausées jusqu’au jour où, avalant une demi-tasse d’une décoction encore plus infecte que les autres, elle sentit une douce chaleur la parcourir des pieds à la tête. C’était un signe. Elle claqua des doigts et son canari se mit à papaouter comme Stromae. Elle exulta, elle venait de ressusciter son don fabuleux qu’elle s’empressa d’exercer avec jubilation.

Un candidat de l’émission The Voice en fit le premier les frais. Son timbre de ténor d’opéra indisposa Tralalalère : elle lui imposa un ronronnement de chat enroué qui le fit huer des spectateurs. Sur sa lancée, elle se vengea d’un trio qui avait emprunté une chanson au répertoire des Prêtres. Elle transforma cette prestation qu’elle qualifia d’antimoine en une horrible cacophonie. La télévision et la radio devinrent le terrain privilégié des talents extraordinaires retrouvés de la fée Tralalalalère qui s’en donna à cœur joie pendant quelques semaines. C’était trop bon ! Zemmour, affublé d’une voix de choriste de la chapelle Sixtine, dut quitter en catastrophe le plateau de France 2. Elle fit bêler Mille Colombes à la pauvre Mimi Mathieu qui fêtait ses cinquante ans de métier, chanter Carla Bruni avec la voix de feu Gainsbourg, hoqueter des cot cot cot codec à David Pujadas en lieu et place des infos de la journée. Chez les auditeurs et téléspectateurs, on s’amusait ferme, s’étonnait ou s’indignait.

La fée Tralalalère rayonnait. Elle mit un point final à son jeu lors d’un débat opposant Hollande roucoulant comme un pigeon enamouré à Merkel aboyant comme un teckel en furie. Épuisée, amplement rassurée sur sa guérison, elle décida qu’il était temps de prendre un repos bien mérité. Elle saisit un livre au hasard dans sa bibliothèque, s’allongea sur son divan et se plongea dans l’Astragale d’Albertine Sarrazin.