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Mon actualité d'auteur, mes textes, mes coups de coeur, mes coups de gueule, tout ce que j'aurai plaisir à vous faire partager !

Quand le hasard vous remet en présence de quelqu'un que vous avez souhaité ne jamais revoir...

Superglu

 

Après avoir enchaîné les séminaires de travail à gauche et à droite, chacun de notre côté, nous rêvions de ces dix jours de vacances d’été à deux. Pour nous ressourcer, nous retrouver.
Dans le hall de l’appart ‘hôtel, nous croisâmes un personnage rondouillard en bermuda à fleurs. Il me jeta un regard appuyé qui me mit mal à l‘aise. Trois secondes plus tard, une vigoureuse tape sur l’épaule me fit sursauter et une voix nasillarde claironna à mon oreille. « Ben Tissot, on reconnaît plus les potes ? »
Je pivotai et la lumière se fit. La grosse bouille, la vulgarité…Superglu ! Le mot faillit m’échapper. Au prix d’un grand effort, je parvins à articuler : « Bonjour… Boyer ! »
– Tu parles d’un pot, ça fait une paie ! T’as pas changé, toujours beau gosse et sacrément bien accompagné !
Je présentai ma femme qui invoqua la fatigue du voyage pour m’entraîner à sa suite tandis que Superglu nous criait que, de toute façon, on allait se revoir souvent.
J’expliquai à Elsa qui était le type en question : une relation de lycée, un individu menteur, paresseux, copieur, qui avait le don de s’incruster dans un groupe pour y répandre son fiel. D’où son surnom. Notre bac en poche, – Superglu se gaussa de son échec et plaignit les pauvres mecs condamnés aux études à rallonge –, nous prîmes tous des chemins différents et fûmes débarrassés de la sangsue.
Catastrophe, quinze ans plus tard, il me retombait sur le poil.
Vers 19h, on frappa à notre porte. Chargé de bouteilles de pastis et coca, d’amuse-gueules, flanqué d’une femme maigrichonne et de deux gamins encore en maillot de bain, Superglu rayonnait dans l’entrée.
– Apéro de bienvenue. Je me suis dit qu’on serait mieux chez vous : grand F2, ce qu’on aurait eu, hein, bobonne, au lieu d’un studio, si tu t’y étais pris plus tôt !
Elsa et moi détestions le pastis. Superglu y fit grand honneur. Les enfants se gavèrent de chips, comme s’ils n’avaient pas mangé de la journée.
– Bon boulot, je suppose ? interrogea mon « pote ».
– Cadre chez Microsoft. (Sifflet admiratif.)
– Et la dame ?
– Maître de conférences. ( Re-sifflet.)
– Et toi, hasardai-je ?
– Peinture, électricité, plomberie, travaux en tous genres. Deux salariés, ça boume du tonnerre. Être son propre patron, y a que ça de vrai !
Puis il se tourna vers Elsa qu’il dévisagea d’une façon qui me fit grincer des dents.
–Toujours l’œil pour dénicher les canons ! Putain, les nénettes que t’a draguées ! J’aurais parié que tu finirais avec la Pamela Anderson du bahut. Quelle crasse elle t’a faite pour que tu te rabattes sur une jolie brune ?
Le con ! Jamais je n’avais parlé à Elsa de mon passé de séducteur. Bobonne intervint opportunément : il était tard, les petits ne tenaient plus en place.
Superglu nous quitta sur un sonore « à la revoyure ! »
Elsa, agacée, somma son Don Juan de leur éviter désormais le sinistre sire.
Arès deux après-midi où il réussit à déployer la serviette familiale à côté de la nôtre et à nous saouler de plaisanteries oiseuses, nous filâmes chaque matin vers une plage isolée où nous jouîmes d’une paix royale. Nos relations avec le pot de colle se bornèrent désormais à des refus polis lorsque, nous apercevant sur le balcon, il nous lançait : « Pastaga ? Pétanque ? Belote ? »
Jusqu’à cette soirée d’orage où, en route vers un restaurant, nous rencontrâmes les Boyer devant un Mac Do, en shorts, dégoulinants.
– Vous bouffez avec nous ? lança le père.
Au coup de tonnerre qui suivit, nous nous engouffrâmes sans hésiter dans le self à la suite de la tribu.
Superglu fit un esclandre à la caisse : bobonne, la gourde, avait oublié la carte bleue ! Grand seigneur, j’assurai qu’ils étaient nos invités. Les enfants, yeux brillants, se ruèrent sur les big mac et les frites. Patafix bâfrait en silence. Sa nature reprit vite le dessus.
–Ouais, ça cale ! Et les gamins sont contents ! Au fait, vous attendez quoi, vous, pour agrandir la famille ? T’as perdu le mode d’emploi ?
–On y pense, rétorquai-je vivement en pressant la main d’Elsa qui avait pâli. Pas question de dévoiler à ce porc qu’après une délicate intervention chirurgicale, elle n’avait plus aucun espoir d’être mère. Nous prîmes congé sèchement. Hors de moi, je préparai la bordée d’injures que Boyer recevrait s’il s’avisait de nous aborder. Elsa me calma et me fit part de son inquiétude : la tristesse qu’elle avait cru déceler le premier soir dans les yeux de bobonne et des petits s’était confirmée, même le comportement de Superglu lui paraissait bizarre.
Le lendemain, nous trouvâmes les deux gamins assis par terre devant notre porte. Le garçon me tendit une enveloppe : « De la part de papa. »
« J’ai toujours été un pot de colle, un frimeur. Mon business est un bide. Les gosses voulaient voir la mer : j’y ai bouffé mes derniers centimes. Ma femme est au bout du rouleau. Moi aussi. Il est temps d’arrêter nos conneries. On voulait louer un bateau et disparaître au large, tous les quatre. La Providence t’a mis sur notre chemin : s’il te plaît, prends soin de nos mômes. »

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Z
Bonjour, Danielle,<br /> <br /> je découvre tout juste votre blog après avoir fait déjà quelques incursions sur le forum MDA, où j'y ai trouvé le lien. Ainsi me permets-je de me fendre d'un très concis commentaire sur ce texte, que j'ai beaucoup apprécié. Le style est efficace, clair et riche, le tout s'enchaîne bien, et le récit est plein d'humour, que cette surprenante chute vient tempérer par un poil de mélancolie, le frimeur affirmant qu'il est en réalité bien conscient d'être une sacrée tache, et que sa vie est un total ratage. <br /> <br /> Je ne sais quoi dire d'autre... hormis peut-être que ce texticule se dévore sans faim cependant qu'il nous régale d'une fin très goûteuse.
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