Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Mon actualité d'auteur, mes textes, mes coups de coeur, mes coups de gueule, tout ce que j'aurai plaisir à vous faire partager !

Inventaire

 

Quand de vieux, très vieux souvenirs se réveillent....

 

 

 Ma chambre d’enfant

 

Je n’ai plus de souvenirs de la couleur des murs, du plafond ou du sol de cette chambre. Le sol, d’ailleurs, on devait en apercevoir à peine un mètre carré.  Mais je n’ai jamais oublié à quel point elle était petite et quels efforts nous devions déployer pour ne pas nous gêner, car nous étions trois à l’occuper chaque soir.

Un triste rideau bordeaux cachait le divan dans lequel dormait mon frère et était censé lui assurer un semblant d’intimité.  Ma sœur et moi partagions le lit à deux places qui occupait l’autre moitié de la pièce.

 Le soir venu, nous devinions, à travers le tissu fatigué, la silhouette allongée de l’aîné, qui tentait de lire quelques pages d’un roman policier à la lueur d’une minuscule lampe de chevet. Nous chuchotions, piquions quelques fous rires. Sur un : « La ferme, les filles ! », il éteignait la lumière et nous invitait au silence.  

Une vieille table bancale, collée contre le mur sous la fenêtre, entre les deux lits, et une chaise de paille complétaient le mobilier sommaire de ce nid douillet : c’était là que je m’installais au retour de l’école pour faire mes devoirs.

 Mon attention était parfois distraite par le passage d’un train sur le viaduc à quelques mètres à peine des vitres. Je pouvais apercevoir les voyageurs et il m’arrivait même d’échanger un signe avec certains. Quant au bruit, nous y étions si habitués que le va et vient des wagons ne nous dérangeait en rien, de jour comme de nuit.

Lorsqu’à la faveur du départ des aînés et d’un déménagement, j’ai enfin eu MA chambre, en souveraine j’ai rempli MON armoire avec MES vêtements, classé mes livres dans MA bibliothèque, disposé mes stylos sur MON bureau, admiré MON lit recouvert de cretonne fleurie.

 Mais la première nuit, j’ai eu l’impression d’être à l’hôtel et beaucoup du mal à trouver le sommeil.

 

 Une chambre meublée à Rouen

Je ne souhaite à personne d’habiter un jour un tel gourbi. En dépit de tous mes efforts, c’était tout ce que j’avais trouvé, près de mon nouveau lieu de travail, un studio sous les toits, rue du Vieux Palais. Un studio, vite dit : en réalité, un couloir de trois mètres de long sur deux mètres cinquante de large. Une fois passée la porte d’entrée branlante, on apercevait, à gauche, collé le long du mur gris lézardé, un étroit lit de fer recouvert d’un édredon blanc sale, ventru, à la mode d’autrefois. Point d’armoire, la pièce était trop petite pour cela, mais au pied du lit, une sorte de chiffonnier vermoulu aux tiroirs si nombreux que j’avais décidé de les étiqueter pour ne pas perdre de temps : petites culottes, soutiens-gorge, collants, chaussettes, foulards, bijoux, papeterie, tee-shirts…Point de fenêtre non plus, simplement une méchante lucarne ronde. Le matin, grimpée sur la table de bois blanc censée servir de bureau, je poussais l’œil de bœuf, passais la tête et une main à l’extérieur pour avoir une idée du temps qu’il faisait.

Le soir, assise sur mon lit, un livre à la main, je tremblais de frayeur en surveillant les sprints d’un mulot sur la moquette qui, à l’origine avait dû être verte, peut-être bleue, impossible à dire…..Inutile de préciser que mon sommeil ne fut jamais serein, pas plus que mon réveil, puisque souvent, le matin, niché dans la corbeille de fruits posée sur la tablette de formica du coin cuisine à l’entrée, le mulot me lançait un regard brillant avant de disparaître...

 

 

 Une chambre d’hôtel

Une fois poussée la porte de la chambre 101, nous avançons timidement dans le couloir d’entrée : nos pieds fatigués s’enfoncent dans la moquette fuschia, si épaisse qu’ayant échappé la clé, nous avons du mal à la retrouver. « Hôtel le Neptune, quatre étoiles »: après une journée en voiture sous le soleil, partis à l’aventure pour un week-end, las de nous heurter à des pancartes « Complet », nous avons aperçu, en pleine nature, l’enseigne lumineuse et avons fait halte ; qu’importe le prix, nous n’en pouvons plus.

Le lit est si large qu’on pourrait y dormir à quatre : les dessins du couvre lit, qui mêlent divers tons de rose, reproduisent ceux de l’étoffe qui tapisse les quatre murs.

Une rampe de spots argentés surplombe la couche royale, flanquée de chaque côté d’une tablette de chevet du même métal. La porte-fenêtre, sur la droite, donne sur une piscine illuminée où quelques baigneurs font leur trempette de vingt-deux heures. Un bureau de ministre, au pied du lit, supporte une statue moderne en bronze, qui ressemble vaguement à un individu se contorsionnant pour se frotter le dos. À côté du bureau, un miroir en pied nous renvoie une image qui nous fait subitement éclater d’un fou rire inextinguible : moi, avec ma minijupe à pois de chez Pimkie et mon débardeur de coton bleu, lui, en polo blanc trempé de sueur et jean délavé, tous deux coiffés comme l’as de pique, avec à nos pieds notre vieux sac de voyage informe.

Deux clodos entrés par miracle au Ritz ! Deux clodos qui, une fois douchés et allongés dans les draps roses – pas en soie mais presque – lèvent les yeux vers l’écran de la télévision grand luxe aux cinquante chaînes câblées et entament une furieuse partie de zapping avec la télé commande. Heureux vingtième anniversaire de mariage !

 

 

 La chambre bleue

 

Je l’appelle mon bureau, ma salle de musique, mon repaire… Au milieu de la pièce, sur la moquette bleu dur si souvent foulée par les pieds nus de Nelly, trône le lit de l’adolescente, recouvert de sa couette à dessins bleus et blancs. Trois peluches, renne, singe, éléphant se disputent l’oreiller. Sur le mur aux couleurs de l’azur, au-dessus du lit, l’immense poster en noir et blanc de Lenny Kravitz, fixé là depuis une dizaine d’années, n’en finit plus de se délaver. Je le recolle régulièrement, tout comme l’affiche d’un gala de l’école centrale derrière la porte d’entrée. Ce sont des souvenirs chers à Nelly ; pas question de les remplacer.

À gauche, une énorme armoire en chêne abrite les vêtements que ma grande fille n’aime plus ou ceux qu’elle n’a pas la place de loger dans son petit appartement parisien.

Je l’ouvre, les jours de blues, enfile un pull, une jupe longue : nous avons la même taille et j’ai la permission de la propriétaire ! À  droite, devant la fenêtre aux rideaux…bleus eux aussi, tout comme le plafond, le bureau d’écolière du même bois que l’armoire porte encore le sous-main de cuir marine, deux ou trois pots à crayon et un miroir : Nelly utilise le meuble comme coiffeuse lorsqu’elle vient en vacances ou en week-end.

J’y ai également installé ma machine à coudre et mon radiocassette CD.

En face du lit, une bibliothèque regorge de livres, de dictionnaires, de classeurs de cours. À côté, accolé au mur, le piano, toujours ouvert, et un bac en plastique rempli de partitions, celles de Nelly, les miennes, bien souvent les mêmes. Normal, puisque après le départ de Nelly, j’ai repris le flambeau et suis les cours de musique de la même école.  

« Un vrai foutoir, s’exclame parfois mon mari lorsqu’il jette un œil dans la pièce ! » Je m’en fiche. Lorsque je m’y enferme pour lire, coudre, faire de la musique ou en écouter, c’est l’ombre de Nelly qui tourne les pages, guide mes mains, choisit les disques. Je ne suis jamais seule dans la chambre bleue.   

 

 

La chambre de grand-mère

Grand-mère laisse son regard fatigué errer sur les murs blancs, le plafond blanc, le carrelage clair toujours impeccablement lavé.

Voilà trois semaines qu’elle n’a pas quitté cette cellule monacale toute en longueur qu’elle connaît par cœur, où tout est blanc, blanc comme les draps, comme la petite table de chevet à droite du lit, comme l’étroite armoire à vêtements à gauche, juste à côté de la porte du cabinet de toilette, blanche elle aussi, qu’elle n’a pas eu l’occasion de pousser. Blanc comme les blouses de ceux qui passent la voir régulièrement, comme ce plateau posé en travers du lit et sur lequel fume un bol de soupe auquel elle ne touchera pas, blanc comme son visage et ses mains décharnés. Cet après-midi, elle avait décidé de faire un gros effort, le dernier peut-être. Elle a longuement fait la conversation avec sa fille, éludant toutes les questions relatives à sa fatigue, ses douleurs. Elle s’est inquiétée du travail de son gendre, de la santé des enfants, de leurs progrès à l’école, de son courrier, de la température extérieure. Elle, avec ce radiateur bouillant, placé à droite du lit, sous la fenêtre, elle n’a pas trop à se plaindre.  Sa fille est repartie avec le sourire. C’est tout ce que voulait grand-mère.

Épuisée, elle  distingue à peine au pied de son lit – si haut qu’elle se demande parfois si elle ne va pas en tomber la nuit – la table sur laquelle trônent quatre ou cinq plantes vertes et une gerbe de glaïeuls et le fauteuil de cuir, noir lui, destiné aux visiteurs. Elle lève les yeux vers le petit poste de télévision presque collé au plafond en face d’elle : elle ne l’a jamais allumé. Elle est si lasse.

Petit à petit, les murs blancs de la chambre s’écartent, des flocons laineux s’échappent du plafond soudain devenu bleuté. Grand-mère n’a plus mal tout à coup : dans sa chemise de nuit blanche, debout, le sourire aux lèvres, tout doucement, tout doucement, elle s’enfonce dans la neige.

 

 

 

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
A
C'est très très beau. Juste très très beau. Toute une vie à travers des lieux.
Répondre
D
<br /> <br /> Merci Anne !<br /> <br /> <br /> <br />
A
Au départ le sujet peut paraitre anodin mais plus on lit votre texte plus on ne veut plus en sortir..felicitations
Répondre
D
<br /> <br /> Merci à vous !<br /> <br /> <br /> <br />
H
Sensible et émouvant, je suis très touchée par les émotions qui se dégagent de tes textes...particulièrement par la chambre de Nelly probablement parce que mon petit dernier part très loin dans peu<br /> de temps ...merci pour ce joli moment de lecture .
Répondre
P
Une excellente idée, propice à des évocations impressionnistes très sensibles !
Répondre
D
<br /> <br /> Merci, Pilgrim !<br /> <br /> <br /> <br />
P
J'ai adoré ces petites nouvelles, de vraies petites madeleines ! Comme toi, j'aime les atmosphères !
Répondre