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Mon actualité d'auteur, mes textes, mes coups de coeur, mes coups de gueule, tout ce que j'aurai plaisir à vous faire partager !

"N'est-ce pas chouchou?"

 

 

Dans son salon, Gertrude Potin, rose de plaisir et d’importance, enrichit et assortit de force commentaires la teneur du courrier adressé la semaine précédente au commissariat de son quartier et qui lui vaut aujourd’hui la visite de deux policiers. Elle a fait son devoir de citoyenne en signalant son inquiétude quant à ses voisins de palier, un curieux couple installé deux mois auparavant. Des locataires, pensez-donc ! Et quels locataires, du jamais vu dans cette petite copropriété bien fréquentée. ! Lui, un grand gaillard, barbu, moustachu, chevelu, vêtu de cuir de la tête aux pieds, – avec le mois de juin qui arrive, il va peut-être bien les ôter ses bottes ! – et elle, petite silhouette éternellement dissimulée dans des châles bigarrés, des jupes longues qui balaient l’escalier, sa crinière blonde ornée de mèches vertes lui mangeant la moitié de la figure… Ah, ça, ils ont bonne allure, et ça la démange, Gertrude, de glisser un peigne et un rasoir dans leur boîte aux lettres.

 Des gens qui ne sortent que le soir, qui ne travaillent sûrement pas… Et si la fille se prostituait ? Et si elle y était obligée par le grand escogriffe ? Mais ce qui l’a vraiment alertée, Gertrude, ce sont les bruits de querelles qui ont traversé la cloison les après-midis. «  N’est-ce pas Chouchou? ». Gertrude prend à témoin un bichon grassouillet blotti à ses pieds! Cette horrible voix d’homme, caverneuse, qui couvre les cris et les gémissements de la femme, lui donne des frissons. «  Salope, roulure, je te crèverai ! » Elle ne donnera pas d’autres exemples, ces mots ont déjà bien du mal à franchir sa bouche. Le vilain barbu abreuve sa compagne d’injures, il la maltraite, elle en est sûre. Ma foi non, elle n’a pas pu en parler avec les autres voisins : tous des retraités partis dans leur résidence secondaire à cette époque de l’année, à part monsieur Roche mais il est sourd comme un pot. « Pas vrai, Chouchou ? »

D’ailleurs depuis l’envoi de sa lettre, la situation a évolué et son angoisse a grimpé d’un cran. Plus un son ne lui parvient de chez le couple et l’homme sort seul le soir. Allez savoir s’il n’a pas battu la petite comme plâtre, si elle n’a pas besoin de soins… ou pire. Gertrude compte sur ces messieurs pour tirer les choses au clair. « N’est-ce pas Chouchou ?  Un individu qui t’a traité de sale bête un soir où tu lui as filé entre les jambes dans l’escalier… Rien de bon à en attendre. »

L’oreille collée à la cloison mitoyenne avec le F1 des jeunes gens. Gertrude tente de grappiller quelques échos de l’interpellation musclée. Sans succès. Elle enrage. Lorsque la sonnette retentit à nouveau, elle ouvre la porte à deux pandores au visage fermé qui lui apprennent que ses voisins sont un couple de comédiens amateurs. Ils répètent d’arrache-pied leurs rôles pour la prochaine pièce au théâtre municipal. Si le silence s’est fait ces derniers jours, c’est simplement parce que la demoiselle souffre d’une extinction de voix ! « Ça va pour cette fois, mais n’y revenez pas, on n’a pas que ça à faire ! »

Oh non, elle n’y est pas revenue, Gertrude, même lorsqu’elle a retrouvé sur son palier Chouchou tondu à ras et barbouillé de peinture rouge.

 

 

 

 

 

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P
Adorable, voilà une voisine très bien croquée !
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