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Mon actualité d'auteur, mes textes, mes coups de coeur, mes coups de gueule, tout ce que j'aurai plaisir à vous faire partager !

Vous parlez d’un quatorze juillet…

 

Je pensais vraiment faire la fête, vu que Juliette était partie le treize dans l’après-midi chez sa mère qui ne se sentait pas bien. Ce n’est pas la première fois que la vieille nous fait le coup, juste histoire de nous ficher la frousse, enfin à Juliette. Parce que moi, la belle-mère…! Pourquoi belle-mère, d’ailleurs, c’est débile ; il suffirait que je vous montre une photo, vous comprendriez de suite... Quant à notre fille unique, entrée dans les ordres par dépit, c’est à se demander si ses prétendants n’ont pas pris les jambes à leur cou en apercevant Juliette.

Trêve de plaisanterie, je m’étais dit que ce serait une bonne occasion de souffler un peu : je l’aime toujours, ma Juju, mais trente ans de mariage, ça pèse, par moments, ça pèse même souvent. Je me suis donc mis sur mon trente-et-un pour me rendre au bal des pompiers. Il y avait un monde fou. Ça fait si longtemps qu’on ne va plus danser avec Juliette que j’en suis resté à la valse et au tango ou tout comme. Alors, à voir toute cette jeunesse se tortiller dans tous les sens, les bras en l’air – on ne savait même pas qui dansait avec qui – je me suis senti tout bête. Et puis je n’avais pas envie de faire le clown, de me démolir un genou ou de me choper un tour de rein. Quand l’orchestre a entamé une série de slows, les filles non accompagnées – je vous garantis qu’il y en avait plus d’une – m’ont regardé comme si j’étais l’homme de Neandertal et ont décliné mon invitation. Qu’est-ce qui les gênait ? Ma tronche ? Ou le fait que je sois le seul mec en costume cravate. Je penche plutôt pour la seconde hypothèse, étant donné que physiquement je suis très bien conservé: visage avenant et pas un pouce de graisse. J’ai patienté jusqu’à ce que retentisse un air de valse. Je n’ai pas eu plus de chance. Des couples de sexagénaires se sont précipités sur la piste, la jeunesse a hurlé pour manifester sa désapprobation. Bref, j’ai rejoint le bar, éclusé petit blanc sur petit blanc pour tromper mon ennui et je suis rentré me coucher complètement pinté. Si Juju m’avait vu, j’aurais eu droit à une sacrée java ! Parce que chez nous, le vin, c’est pour le dimanche, l’apéro pour les jours de fête, et en quantité homéopathique ! Son père est mort d’une cirrhose, donc elle prend soin de notre foie !

Le quatorze, j’ai fait un bon petit déjeuner : profitant de l’absence de Juliette qui prétend nous protéger aussi du choléra-cholestérol et de la peste-diabète qui gâchent la vie de sa pauvre mère – pas si pauvre que ça, trois immeubles de rapport qui vont revenir plus tard à son unique héritière, ma Juju – je n’ai pas lésiné sur les croissants, le beurre et la confiture. Ainsi lesté, je me suis installé confortablement devant la télévision. J’allais pouvoir regarder bien tranquillement le défilé du quatorze juillet. Je ne le rate jamais – si j’étais parisien, je serais sur les Champs Élysées tous les ans, qu’il pleuve ou qu’il vente – mais Juliette, qui s’en fiche comme de l’an quarante du défilé, s’arrange toujours pour me déranger : « Va me chercher des pommes de terre à la cave, aide-moi à retaper le lit, découpe-moi le lapin … »

Là, j’étais pépère, j’en ai pris plein les mirettes. Ils ont si fière allure nos militaires, ils portent de si beaux uniformes ! Bleus, noirs, kaki, peu importe la couleur, le style ! Ils ont tous de la gueule ! Et l’uniforme, ça vous pose un homme. À dix-huit ans, c’était mon idée de m’engager dans l’armée. Ça ne plaisait pas à mes parents : « On te verra plus, ils vont t’envoyer aux cinq cents diables, si c’est pas à l’étranger pour te faire tuer, et nous on aura que nos yeux pour pleurer. »Je n’ai pas voulu leur faire de peine. Remarquez, j’en ai un d’uniforme, si l’on peut dire : mon gilet vert de vendeur dans une grande surface de bricolage. Mais il n’a pas la même classe, et je n’ai pas d’arme ! Ça aussi ça vous pose un homme, une arme ! Je me verrais bien en Clint Eastwood.

Ce que je me suis régalé ! J’ai même fait mes commentaires à voix haute, puisqu’il n’y avait personne pour me houspiller. J’ai admiré les saint-cyriens, les polytechniciens, tous ces jeunes qui, paraît-il, ont la tête truffée de mathématiques et constituent l’élite de notre pays. Il y avait beaucoup de filles, trop à mon goût, beaucoup trop. L’armée, c’est une affaire d’hommes ! Quant à l'uniforme... vous en pensez quoi de la jupe large et mi-longue des polytechniciennes ? Pas sexy pour deux sous, on est bien d'accord, le style qui plaît à Juliette... et qui cache ses genoux cagneux... La minijupe, le bikini, voilà qui met les nanas en valeur ! Quoique, au vu des gueules et dégaines de certaines de ces demoiselles soi-disant si intelligentes, je me suis dit que finalement, en petite tenue, elles m’inciteraient plutôt à claironner : « Tiens, voilà du boudin ! »

Ce qui m’amène à la musique ! Sonneries de trompettes, roulements de tambours, voilà qui a du corps, vous prend aux tripes, vous donne envie de vous lever et de marcher au pas dans votre salle à manger ! Je n’ai pas résisté. J’ai bien dû parcourir trois kilomètres de long en large, en gardant l’œil sur la télé évidemment. Fourbu, je suis retourné à mon siège pour apercevoir les ministres endimanchés et notre Président que j’aime bien pour sa bonne bouille. Pas fier pour deux sous. Normal quoi ! Si Juliette avait été là, ma fête aurait été gâchée.

Le défilé terminé, l’interview du Président ne me disait pas trop, surtout à cause des journalistes : la pimbêche sur le retour de TF1 et le blondinet chéri de ces dames de la 2. Je les connais ces deux-là. Avec le chef d’État précédent, c’était carpette et compagnie. Avec le nouveau, j’étais sûr qu’ils allaient tout faire pour le mettre en difficulté. Et puis il était presque 13 h 30. Je suis passé dans la cuisine et je me suis réchauffé le cassoulet que Juliette m’avait préparé avant son départ. Vous me direz, le cassoulet, ce n’est pas spécialement un plat d’été mais cette année, on n’a pas d’été, il fait un temps de Toussaint un jour sur deux. D’ailleurs, en jetant un coup d’œil par la fenêtre, je me suis aperçu qu’il tombait des trombes d’eau. Pas question d’aller faire un tour l’après-midi. J’ai pris mon temps pour déjeuner et comme c’était jour de fête, je me suis accordé un Ricard et quelques verres de rosé. Il ne me restait plus qu’à me traîner jusqu’à la chambre à coucher pour piquer un roupillon.

J’ai refait surface sur les coups de vingt heures. La pluie avait cessé, le soleil pointait même son nez ! Complètement barjo ce temps ! Si le soleil n’était pas pressé de se coucher, ma foi, moi non plus après ma sieste prolongée. Je me suis souvenu qu’un feu d’artifice allait être tiré dans la soirée au golf municipal. Je me suis donné un coup de peigne, j’ai enfilé un pull et un blouson, pris mes clés de voiture. Comme je sortais, le téléphone a sonné. C’était Juliette qui voulait savoir si j’allais bien, si je ne m’ennuyais pas trop, si j’avais bien mangé. Il avait dû me rester du cassoulet pour le soir, elle avait prévu large. Je l’ai rassurée : son cassoulet était délicieux, elle me manquait, bien sûr, mais je me faisais une raison, j’allais passer une soirée bien calme à la maison et me coucher de bonne heure.

Un petit quart d’heure de bagnole et je me suis garé au parking du golf. Je me suis payé un sandwich jambon-beurre, un cornet de frites et un coca. Le cassoulet, ça commençait à bien faire ! Je suis resté un moment sous l’auvent de la caravane-buffet pour terminer mon coca – j’aurais préféré une bière, mais ça n’était pas possible – observant d’un œil distrait les deux employés occupés avec la crêpière et la friteuse. Pas très loin de moi, une jolie brune bouclée moulée dans une robe rouge vif sirotait un jus de fruit. Je lui en aurais volontiers offert un autre si elle n’avait pas été en train de papoter avec deux malabars, genre Teddy Riner et Sébastien Chabal. Ma témérité a des limites. On m’a tapé sur l’épaule et qui ai-je aperçu ? Henri, un collègue de travail. Pas très futé, mais un brave gars, Henri. On a l’habitude de tailler des costards à notre chef de rayon, une punaise qui s’arrange toujours pour nous faire des crasses, aux responsables syndicaux qui causent, causent mais ne servent pas à grand-chose. On a bavardé quelques instants. Il s’est apitoyé sur mon sort : pauvre vieux abandonné par bobonne un week-end de fête, mais il comprenait, une belle-doche pleine aux as, ça méritait quelques sacrifices. J’en ai rajouté un peu, ça ne fait pas de mal de frimer, et Henri goberait n’importe quoi. J’ai parlé des tableaux, de l’argenterie, des bibelots de valeur que Juju ramenait en cadeaux à chaque retour de chez sa mère. En réalité, elle ramenait surtout une tête de six pieds de long parce que môman l’avait épuisée avec ses caprices. On s’est retournés du côté de la pelouse où c’était cafi[1] de monde : des familles, des groupes de jeunes finissaient de pique-niquer, assis sur des couvertures, d’autres léchaient une glace ou se promenaient de long en large en attendant le feu d’artifice. Henri devait retrouver son frère, sa belle-sœur et leurs quatre moutards. Dès qu’il les a eu repérés – facile, six tee-shirts vert fluo et six chapeaux de paille – il m’a faussé compagnie.

L’heure du sacro-saint spectacle approchait. La foule commençait à se regrouper face au podium d’où devaient être lancées les fusées. À quelques mètres de moi, à la lueur de la lune, un visage de femme m’a frappé : le joli petit minois encadré de boucles brunes que j’avais remarqué devant la baraque à frites. En réalité, ce qui m’a frappé, c’est le sourire qui avait tout l’air de s’adresser à moi. Ça m’a rendu tout chose, puis je me suis traité d’imbécile. J’avais tort : quelques secondes plus tard, la demoiselle était à mes côtés, toujours souriante, l’œil pétillant. Aucune trace des deux malabars à l’horizon. J’ai quand même pris mes précautions : « Vos deux amis vous ont abandonnée ? « Vous parlez des deux affreux qui se croyaient irrésistibles et m’empêchaient de boire mon jus d’orange en paix ? Je les ai envoyés balader, vite fait, bien fait » a-t-elle répondu en éclatant de rire. Puis la première fusée est partie : ensemble, avec la foule, on a crié : « Oh ! la belle bleue ! » Au rythme des « Oh ! la belle rouge, oh ! la belle gerbe d’or, oh ! les papillons d’argent ! » on a échangé des sourires ravis. J’ai passé mon bras autour de sa taille, elle a posé sa tête sur mon épaule. Je ne saurais vous dire en quoi consistait le bouquet final, parce que le feu d’artifice, c’était dans mon cœur, dans ma poitrine qu’il pétait comme un dingue. On est restés scotchés un moment l’un à l’autre pendant que les badauds prenaient la direction du parking. C’est elle qui finalement a murmuré : « Vous me raccompagnez ? » J’ai bégayé : « Bien sûr ! » Elle m’a prié de l’excuser une minute : un petit coup de téléphone à passer à la baby-sitter pour s’assurer que tout allait bien. Une jeune maman ? Quelle importance ? En tout cas, attentionnée. Une fois installée dans la voiture, quand je lui ai demandé quel quartier elle habitait, elle a susurré : « Et si vous m’offriez plutôt un verre chez vous, ce serait plus sympa, j’ai bien peur de n’avoir rien de bon chez moi ? » Vous auriez refusé, vous ?

Arrivé à la maison, je me suis confondu en excuses pour n’avoir à lui proposer que du pastis ou du vin rosé. Elle m’a assuré que le rosé, c’était ce qu’elle préférait. J’ai sorti les verres en cristal, on s’est installés sur le canapé et on a dégusté notre vin des sables, entre deux baisers, deux caresses… Le bonheur ! Une peau si douce et de jolies rondeurs partout où il en faut – ma pauvre Juliette, plus les années passent plus elle ressemble à un sac d’os – c’était trop beau ! Et pas farouche, la demoiselle, mains expertes, plus que les miennes. Faut dire qu’avec Juju, c’est en général: « Arrête, on a passé l’âge de ces bêtises ». Et voilà que ce soir, j’allais être, à n’en pas douter, dédommagé de mes frustrations. On n’a pas tardé à prendre la direction de la chambre. En chemin, elle avait tout envoyé valser : la robe, le string, le soutien-gorge. Moi, j’étais comme ébloui, pris de vertige. C’est elle qui m’a poussé sur le lit, s’est allongée sur moi, en déboutonnant mon pantalon.

Vous attendez que je vous raconte notre nuit d’ivresse ? « J’voudrais bien mais j’peux point ! »

Quand je me suis réveillé, nauséeux, migraineux, j’étais seul. Le réveil affichait 10 heures du matin. Je me suis dirigé vers la cuisine, espérant y trouver ma belle en train d’y préparer du café. J’ai dû le faire moi-même mon kawa bien tassé. Déçu, je suis passé récupérer les verres dans le salon, pour les laver, et la bouteille de rosé vide pour la faire disparaître. Debout au milieu de la pièce, je me suis senti tout à coup envahi par une impression bizarre. À force de regarder à gauche, à droite, la lumière s’est faite et j’ai poussé un « Nom de Dieu » qui a dû traverser la cloison. La pendulette de tante Jeanne, une antiquité de grande valeur, d’après mes parents, le lecteur de DVD, la chaîne stéréo, le tableau de Chamisso (un camarade de classe du beau-père qui fait une belle carrière de peintre abstrait), disparus ! Et je n’étais pas au bout de mes surprises : plus de trace du vélo entreposé dans le cellier, encore dans son emballage, le cadeau d’anniversaire du petit-fils pour ses sept ans ! Le poste de télévision au pied de notre lit, le fauteuil en cuir avec repose-pieds … partis ! J’ai plongé la main dans la poche de mon blouson posé sur une chaise : plus de portefeuille, plus de portable, plus de clés de voiture ! Plus de clés de… J’ai couru jusqu’à la fenêtre de la cuisine : ma bagnole, garée dans la rue, juste en dessous, envolée aussi ! La garce, non seulement elle avait réussi à me droguer en douce, mais en plus elle était venue avec des complices et un camion de déménagement ! Qu’est-ce que j’allais dire à Juliette ?

Le téléphone a sonné, j’ai vu s’afficher le numéro de la belle-mère, ça m’a remis les idées en place. Pas question de répondre. J’avais plus urgent à faire. J’ai enfilé une paire de gants de bricolage, renversé quelques chaises, ouvert placards et tiroirs, cassé un vase à fleurs et me suis activé sur les serrures de la porte d’entrée pour qu’elles aient l’air d’avoir été forcées. Pas de danger d’attirer l’attention du voisin de palier : il a mis les voiles avec son camping-car depuis le 1er juillet. Puis j’ai appelé la police. Tout marchait comme sur des roulettes, d’autres cambriolages avaient eu lieu dans la nuit. On m’a cru quand j’ai déclaré ne pas avoir bougé de chez moi la soirée du quatorze et avoir pris une bonne dose de somnifères à cause d’un coup de blues. Je me suis trouvé génial dans le rôle du gars qui déprime, seul chez lui en période de fête ; ça m’aura servi à quelque chose, au moins, de participer au club-théâtre du lycée. C’était il y a bien longtemps, mais quand même… Je suis allé chercher Juliette en taxi et, sur le chemin du retour, je l’ai préparée aussi doucement que possible à ce qui l’attendait à la maison. Elle a versé quelques larmes et s’est félicitée de ne pas avoir été là : elle qui a le sommeil si léger, elle les aurait entendus les voleurs et Dieu sait quel sort ils lui auraient réservé ! Pas une pensée pour moi ! Ce que ça peut être égoïste, une femme !

Donc tout allait pour le mieux, on avait rempli le dossier pour les assurances, on attendait tranquillement d’être indemnisés. Il a fallu qu’un enquêteur de la compagnie fasse du zèle. Cette engeance, méfiez-vous-en comme de la peste. De vrais fouille-merde, ils mettent leur nez partout, pires que les flics. Il a questionné notre entourage, vérifié que Juliette était bien chez sa mère. L’affaire s’est corsée quand il s’est pointé à mon boulot, sans prévenir, évidemment. Henri, qui n’a pas inventé le fil à couper le beurre et que les collègues ont surnommé le roi de la gaffe – tout content de sa soirée du quatorze juillet et tout fier d’être interviewé – c’était ni le journal local ni la télé, c’était la police ou tout comme, Henri et je t'avais pourtant bien demandé de le fermer ton grand clapet! – bref, Henri n’a pas pu s’empêcher de déclarer qu’il m’avait rencontré au feu d’artifice et vu partir vers minuit en galante compagnie !

Juliette m’a passé dehors. Mon assurance me traîne en justice. Je crèche comme une âme en peine chez… Henri ! Ma foi, pas très futé, mais un brave gars, Henri !

 

 

 

[1]
                 Mot de patois stéphanois : plein.

 

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