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Mon actualité d'auteur, mes textes, mes coups de coeur, mes coups de gueule, tout ce que j'aurai plaisir à vous faire partager !

Jouer avec les proverbes et dictons


Cette histoire s’est passée dans des temps anciens, mon grand, probablement à l’époque de mes arrière-arrière-grands-parents, dans un bourg du Berry où la grande majorité des habitants étaient très pieux et profondément respectueux de leur prêtre. Celui-ci, récemment nommé, les impressionnait par sa mine austère et les leçons de morale qu’il déversait dans ses sermons dominicaux. Les mots honnêteté, vertu y abondaient, accompagnés de menaces des pires tourments de l’Enfer pour les méchants. Les braves villageois tremblaient de tous leurs membres lorsque le père Berthier, yeux exorbités, bras tendu et doigt accusateur faisait résonner depuis la chaire sa voix de stentor. Ils quittaient l’église à toute allure, comme des coupables et il fallait bien à tous quelques verres de bon vin et une copieuse part du déjeuner du dimanche terminé par un goûteux entremets pour oublier la messe du matin et s’en aller faire une sieste en soupirant : «Ce Berthier, beaucoup de bruit pour rien finalement ! ». Dieu merci, l’homme en noir n’avait pas encore fustigé le péché de gourmandise.

Or il arriva que le jeune Eloi rentre un jeudi du catéchisme les joues rouges et les yeux gonflés de larmes. Ses parents s’inquiétèrent. Un chenapan lui avait-il cherché noise ? Était-il souffrant ? Le gamin resta muet, bouda sa soupe et fila se coucher toujours reniflant. Le lendemain il semblait de nouveau en forme mais le jeudi suivant, il prétexta un mal au ventre si violent qu’il ne se sentait pas la force d’aller à la leçon d’histoire sainte. Il y a anguille sous roche, se dit sa mère qui, au marché du samedi, s’ouvrit auprès de ses commères des curieux malaises de son Elie. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’ une autre avoua que son Marcel se faisait désormais tirer l’oreille pour se rendre à l’église, une troisième que son Louis était sans raison apparente devenu triste et renfermé, une quatrième que lors d’une promenade dominicale, apercevant la haute silhouette noire du prêtre arrivant à leur rencontre, son Jean avait poussé un petit cri et couru se cacher derrière la fontaine. On s’interrogea sur la conduite des fillettes qui apprenaient, elles, l’histoire sainte sous la houlette de Mademoiselle Fernande, sorte de sacristain en jupon. Il apparut qu’elles ne se faisaient aucunement prier pour assister aux leçons : Mlle Fernande racontait de si belles histoires et donnait même des bonbons ! Ces dames, concluant qu’en ce qui concernait leurs garçons il n’y avait pas de fumée sans feu, se quittèrent en se promettant d’être vigilantes et d’ouvrir grands yeux et oreilles.

Elles eurent bientôt du grain à moudre quand un autre jeudi soir, Elie fut saisi d’une forte fièvre, se mit à délirer et à hurler en prononçant des propos incohérents. Le médecin, mandé, conclut à un dérangement mental et lui fit ingurgiter une bonne dose de potion calmante. Les femmes du pays se concertèrent. Il fallait absolument découvrir pourquoi leurs rejetons étaient depuis quelque temps devenus allergiques à l’église et à son représentant. Les hommes, accaparés par leur travail, n’avaient pas jusque-là porté grand intérêt à la chose, haussant les épaules et soupirant que leurs moitiés étaient prêtes à faire feu de tout bois pour faire marcher leur langues de commères. Eux, avaient bien d’autres chats à fouetter, les récoltes à rentrer, les bêtes à soigner, leur petit commerce à faire tourner : à chaque jour suffit sa peine, n’est-ce pas ? Les femmes, de leur côté, grommelaient au sujet de leurs conjoints « qu’il n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre. » L’affaire toutefois se corsa lorsque la mère de Marcel convia ses voisines et amies pour leur avouer, après une tasse de café et bien des atermoiements, les horreurs que son loupiot lui avait confiées. La pauvre femme s’en tordait les mains et en bégayait de confusion : le chanoine Berthier, oui mesdames, un homme de Dieu dont la conduite aurait dû être irréprochable, aimait bien mettre la main dans la culotte des gamins ou leur faire toucher son... machin. Cris horrifiés de ses compagnes qui, une fois ragaillardies par une nouvelle tasse de café baptisée d’une lampée de gnôle, décidèrent de questionner à nouveau leurs petits : Marcel ayant craché le morceau, les autres apporteraient-ils de l’eau au moulin ? Passés à la question, ils confirmèrent, confus mais soulagés de se débarrasser de leur fardeau. Les femmes durent se rendre à l’évidence : le chanoine manifestait bien un goût prononcé pour les petits garçons et se livrait à des gestes que la morale réprouvait. Comme quoi, l’habit ne faisait pas le moine !

Les hommes, cette fois, mis devant le fait accompli, prirent le coup de sang et, fourche et bâton en mains, menacèrent d’aller régler son compte au triste sire mais après réflexion hésitèrent, partant du principe que la colère est souvent mauvaise conseillère. Et puis, s’attaquer à l’Église, ça donnait à réfléchir. La nuit portant conseil, ils promirent de prendre une décision le lendemain. En réalité, ils ne parvinrent pas à se mettre d’accord sur la conduite à adopter si bien que les femmes menèrent la lutte à leur façon, à coeur vaillant rien d’impossible, gardant leur progéniture à la maison et répandant la rumeur selon laquelle il ne faisait pas bon rencontrer le chanoine.

Les petits ruisseaux faisant les grandes rivières, cette rumeur enfla et courut jusque dans les bourgs alentour. Elle finit par arriver aux oreilles de l’évêque qui s’en étouffa presque alors qu’il dégustait une cuisse de lapin à la moutarde. Il expédia sur place deux de ses assistants de confiance chargés de mener l’enquête et d’auditionner les petits. Elie, Marcel, Louis et Jean réitérèrent leurs accusations et confessèrent que lorsqu’on tentait de résister au père Berthier, ses yeux se mettaient à briller de façon effrayante comme ceux du chat noir de la Mère Michu quand il sortait ses griffes pour attaquer.

Ces propos rapportés firent l’affaire de l’évêque qui saisit la balle au bond. On s’arrangerait avec la gazette locale : le journaleux, aux ordres– on pouvait faire confiance à son imagination qu’une grosse enveloppe contribuerait encore à stimuler et personne n’en saurait rien l’argent n’ayant pas d’odeur –, concocterait un fait divers ayant pour titre : « Il ne fait pas bon rencontrer un chat noir ! » Les paroles s’envolant, mais les écrits restant, l’honneur serait sauf. Ainsi se propagea donc la superstition.

Cette histoire fit une victime... inattendue : Mlle Fernande. La brave demoiselle, une quinquagénaire sèche comme un coup de trique, le chignon triste et la bouche amère, se consumait en secret pour le père Berthier. Ce qui n’échappait pas à certains plaisantins qui évoquaient sous le manteau une possible aventure entre le jeune prêtre et sa bonne, ironisant que c’était dans les vieux pots que l’on faisait la meilleure soupe. Toutefois, alors que l’austère homme en noir traitait Fernande comme une esclave en multipliant à plaisir ses tâches, elle ne voyait dans cette attitude que les marques d’un intérêt profond pour sa personne. Elle attendait désespérément que Berthier vienne réchauffer sa couche. Elle avait bien conscience que ce serait péché, mais si personne n’était au courant... Et puis, elle demanderait pardon à Lui, là-haut et faute avouée n’était-elle pas à demi-pardonnée ? Lorsque la vérité à propos du chanoine parvint à ses oreilles, Fernande fut prise de désespoir et courut se jeter dans la rivière. Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse, mon petit !

— Et le chanoine, grand-père ? Ne me dis pas qu’il n’a pas été puni ?

— Heu... Eh bien... alors qu’il préparait son cheval pour rejoindre le monastère où il serait désormais astreint à faire pénitence, l’animal s’énerva et lui décocha un coup de sabot fatal en pleine tête. Comme quoi le fer à cheval ne porte pas toujours bonheur !

— Enfin, Émile, as-tu bientôt fini de bourrer le crâne de ce petit d’histoires à dormir debout ?

— Grand-mère, le petit, il a dix-huit ans. Les histoires de grand-père, il les adore mais là il faut qu’il file chez lui réviser pour son contrôle de mathématiques. Du pain sur la planche mais... le travail éloigne de nous trois grands maux...n’est-c e pas grand-père ?

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